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ertains enfants réclament à corps et à cris un petit
frère ou une petite sœur ; chez nous, en revanche, l’objet de toutes les
convoitises, c’est un chiot. Pas un caniche toy,
non, un énorme saint-bernard baveux ! Chaque fois que Céline et Elisabeth,
nos deux filles, passent devant la vitrine d’une animalerie, il faut les en
arracher de force. Supplications, câlineries, bouderies, larmes, tout leur
répertoire y passe."
Quels parents n’ont pas un jour été confrontés à ce type de demande ? Au
début, ils pensent à un nouveau caprice. Mais, au fil des mois, résister
devient de plus en plus difficile. Craquera-craquera
pas ? Le doute s’installe. Le chien ou le chat est-il
vraiment le meilleur ami de l’enfant ? Le point avec Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue, spécialiste du
comportement animalier, et Edwige Antier,
pédiatre.
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Qui va le sortir ?
A moins d’avoir eux-mêmes grandi auprès d’un animal, les parents sont
d’abord plutôt réticents. Les raisons de dire non ne manquent pas : qui va
sortir la " bête ", lui préparer sa pâtée, l’emmener faire ses
vaccins ? On connaît d’avance la réponse. Bien sûr, l’enfant promet de
s’occuper de " son " animal. Mais est-ce
vraiment le cas ? " Relativement, répond Henrietta.
A la maison, on se répartit les tâches : Paul, mon fils aîné, sort Tom,
notre jeune cocker. Elodie brosse son pelage et ses oreilles tous les
matins. Marie lui donne à manger. Moi, je m’occupe du ravitaillement et du
vétérinaire. Chacun est fier de son job. "
Des responsabilités, oui, mais limitées. "Ne vous faites aucune
illusion : si vous acceptez de prendre un animal, le gros du travail vous
reviendra obligatoirement, témoigne Martin, papa de Louise et de… Ludo, un boxer. Ma femme prépare ses repas et moi, je
me retrouve dehors chaque soir, qu’il pleuve ou qu’il vente, pour la
promenade digestive. Comme on habite en ville, je vois mal ma fille de 11
ans se baladant toute seule dans les rues passé 21 heures."
L’enfant ne s’occupera jamais complètement de son animal, et c’est normal,
explique Edwige Antier. " Il rêve d’un petit
compagnon qui serait “lui”, d’un clone. Il fait de l’anthropomorphisme aigu
et permanent. " Il ne peut donc pas concevoir qu’un chat ait besoin
d’une litière propre, ou qu’un chien doive sortir plusieurs fois par jour
pour uriner, parce que lui ne fonctionne pas comme ça. Seul un adulte peut
se mettre à la place d’un animal, et comprendre ses besoins. Conclusion :
en offrant un chien à vos enfants, c’est vous qui en prenez pour quinze
ans. Si l’idée de cette responsabilité vous pèse, renoncez ! Sinon,
poursuivez votre lecture…
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Caresses et confidences
"Quand Cédric a un gros chagrin, il serre Sanson, notre braque
allemand, dans ses bras et lui raconte ses petites misères. Le plus
étonnant, c’est que Sanson a l’air intéressé : il redresse ses oreilles
pour mieux écouter. Et quelques minutes plus tard, ils s’élancent ensemble
dans le jardin, l’un riant, l’autre aboyant !"
D’un côté, la corvée pipi-gamelle-véto, de
l’autre, la compagnie d’un animal qui comble les besoins affectifs de
l’enfant. "Chien ou chat, c’est une figure d’attachement dont on
s’occupe, souligne Boris Cyrulnik. On lui parle,
on le caresse, on aime son odeur, sa chaleur. On est dans le tactile,
l’olfactif, l’affectif." Il est donc inutile d’espérer s’en sortir en
offrant poisson rouge, canari ou tortue. Il leur manque justement la
communication et le toucher. A la rigueur, un lapin nain ou un hamster peut
faire l’affaire.
D’ailleurs, ce dernier est l’animal fétiche des petites filles prépubères de 5 à 12 ans, affirme Edwige Antier. Parce qu’il exerce une fonction sensuelle,
quasi " érotique ". Elles adorent sentir cette petite boule de
poils frétiller au creux de leurs mains et courir le long de leurs bras,
avec leurs petites pattes griffues. Mais, dès qu’elles commencent à
s’intéresser aux garçons et à flirter, la petite bête perd tout son attrait
!
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Un toutou pour doudou
Enfant solitaire, enfant triste, enfant coléreux : l’animal de compagnie
joue également un rôle de tranquillisant. Au même titre que l’objet
transitionnel ou doudou – nounours, bout de couverture, etc. – il agit
comme un substitut maternel rassurant. Dans certaines situations familiales
– l’enfant unique souvent seul faute de parents disponibles, celui qui
traverse l’épreuve difficile d’un divorce, etc. –, sa présence se révèle
une aide précieuse. Un chien est capable de " sentir " l’humeur
de son petit maître et de le soutenir affectivement en cas de coup de
blues. Ainsi, la présence d’un animal est-elle
recommandée dans les familles monoparentales, surtout si l’enfant se sent
" capturé " dans une relation étouffante avec la mère. Plus un
enfant grandit, plus il a besoin d’établir des liens différents avec les
autres, d’aimer en dehors de ses parents. S’attacher à son animal, c’est
déjà aimer ailleurs. L’animal peut aussi calmer un enfant bagarreur et
l’aider à canaliser ses pulsions agressives. A condition que ce dernier ne
déverse pas sur lui son agressivité, voire sa perversité. Lui apprendre à
respecter l’animal, c’est lui enseigner le respect des humains.
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Un relais pour faciliter le dialogue
Avoir un animal n’est pas " indispensable " à l’épanouissement
d’un enfant, rassure Boris Cyrulnik. On peut s’en
passer et former une famille heureuse. " Toutefois, en cas de problème
de communication ou de dysfonctionnement, il réintroduit le jeu et la
parole entre les différents membres de la tribu. " Le chat ou le chien
exerce alors une fonction homéostatique : il a un pouvoir stabilisant.
De même que les chirurgiens expliquent à l’enfant apeuré l’intervention
qu’il va subir en la mimant sur un ours en peluche, l’animal peut servir de
relais au dialogue. Les parents l’utiliseront, par exemple, pour
expliquer leurs mesures éducatives : " Tu vois, Pollux
a fait une bêtise, je suis obligé de le punir. Il a mérité une sanction !
" Et l’animal de devenir, pour l’enfant, une sorte de délégué
narcissique, un représentant, à qui il attribue ses propres sentiments. Par
son intermédiaire, il peut dire à ses parents ce qui ne va pas sans risquer
de les blesser. Si l’enfant estime que ses parents sont injustes envers
lui, il réagira : " Vous avez accusé Pollux
d’avoir volé le gâteau, ce n’était pas lui. Vous êtes injustes ! "
Derrière cette phrase, un message subliminal : " Moi aussi vous
m’accusez sans preuve, moi aussi je suis victime d’injustice ! "
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Sciences naturelles et confiance en soi
Autre argument en faveur du oui : la présence d’un animal développe les
aptitudes intellectuelles. Voir une chatte allaiter ses chatons est un apprentissage
naturel de la vie, surtout pour les enfants des villes qui n’ont guère
l’occasion d’observer la nature. L’enfant saura différencier très tôt le
vivant de l’inanimé, l’humain du non-humain, le
masculin du féminin.
Calé en sciences naturelles, l’enfant prend aussi de l’assurance.
"Marion est très fière que Camomille, notre labrador, obéisse à ses
ordres, raconte Lætitia. Elle la fait s’asseoir,
se coucher, courir après son ballon, etc. Pour une fois, ce n’est pas elle
qui doit écouter, c’est très valorisant pour un bout de chou de 4
ans." Habitués à être dominés par leurs parents et leurs aînés, les
jeunes enfants aiment se retrouver en situation de maître. Ils commandent
aux animaux de la même façon qu’on leur commande, brutalement ou gentiment,
souligne Boris Cyrulnik : " Par le biais de
l’animal, ils apprennent que l’autorité n’est pas synonyme de force et
qu’on n’a pas besoin de taper pour être obéi. Ils comprennent aussi à quoi
elle sert et ils l’acceptent mieux. "
La participation réelle aux soins de leur compagnon renforce également
leur confiance en eux. Ils intègrent aussi que l’amour, ce n’est pas
seulement recevoir, mais aussi donner. De passifs, ils passent à un rôle
actif.
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Dire non, c’est votre droit
Vous voilà convaincu : un chat ou un chien favorisera l’épanouissement de
votre enfant. Seulement voilà, vous détestez les animaux ! C’est votre
droit. Mais alors dites-le franchement, au risque de passer pour un monstre
sans cœur. "J’ai expliqué à Marine que je ne voulais ni chat ni chien
à la maison, raconte Julien. Je suis allergique, au sens propre comme au
figuré ! Mais j’ai ajouté : Quand tu seras chez toi, tu auras tous les
animaux que tu voudras.” Parler vrai vaut mieux que promettre et remettre sans
cesse à plus tard.
Autre très mauvaise idée : céder à contrecœur. Pour preuve, l’expérience
désastreuse de Françoise : " Pour Noël, ma sœur a offert une petite
siamoise à mes filles, qui nous harcelaient depuis longtemps. Bulle a
saccagé toute la maison, j’étais furieuse ! Pour les vacances, nous l’avons
confiée à une voisine, et elle s’est sauvée. Mes filles ont énormément
pleuré. Ç’a été un tel drame que je me suis fâchée avec ma sœur ! "
Conclusion : faire cadeau d’un animal n’est pas toujours une bonne idée.
Assurez-vous avant que toute la famille est
d’accord.
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QUESTION D'EDUCATION :
Vous venez d’acquérir un chiot ou un chaton ? Pour éviter d’en voir de
toutes les couleurs, suivez les conseils de Claude Cailloux (1) et
du Docteur Bismuth, vétérinaire.
- Chiot : ne le séparez pas de sa mère avant l’âge de 2 ou 3 mois.
Conduisez-vous en " chef de meute " et apprenez-lui la hiérarchie
" homme-chien " dès 4-5 mois. A table,
empêchez vos enfants de lui donner à manger lorsqu’il quémande. Son repas
doit s’effectuer après le vôtre, jamais en même temps.
Attribuez-lui un lieu pour dormir (surtout pas le lit de vos enfants). S’il
a fait une bêtise, envoyez-le dans son panier.
-Chaton : manipulez-le délicatement et ne le serrez jamais trop fort
pour l’empêcher de partir. S’il griffe, réprimandez-le tout de suite afin
que cette mauvaise habitude ne s’installe pas. Apprenez-lui à faire ses
besoins dans sa litière. Interdisez-lui de se promener sur la table des
repas. Un chat dort en moyenne seize heures par jour : trouvez-lui un
endroit confortable et isolé où il pourra se reposer tranquillement (jamais
sur le lit, car les risques d’allergie sont importants). Le chaton adore
jouer, mais pas toute la journée : apprenez à votre enfant à respecter son
rythme et son indépendance.
1- Coauteur, avec Monique Bourdin et Jean-Paul Koumchasky,
de “Mon premier chiot, le choisir, le comprendre et l’éduquer” (TF1
Editions, 1999).
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BORIS CYRULNIK :
“La mort de son chien nécessite un vrai travail de deuil ”
" Un chien ne vit que dix à douze ans, explique l’éthologue. Un jour
ou l’autre, l’enfant est confronté à sa mort. C’est un vrai chagrin,
méprisé à tort dans nos sociétés. Le corps de l’animal qu’il a tant aimé
est pour lui une sorte de ”représentant narcissique”. Si on le jette à la
poubelle, dans un sac en plastique, cela revient à dire à l’enfant : “Voilà
ce qui t’attend !” Bien sûr, il n’est pas question de construire un
mausolée, chien et chat ne sont pas des êtres humains. Mais il est
important de marquer symboliquement sa disparition. Ça préserve l’estime de
soi et permet le travail de deuil. A chaque famille d’inventer son rituel :
par exemple, mettre le chien en terre dans un endroit choisi par tous avec
un objet qui lui appartenait. C’est aussi l’occasion d’aborder les
questions existentielles que se posent les enfants sur la mort ou la
vieillesse. "
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Catherine Marchi
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