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l’ère
du "tout, tout de suite", de la vitesse, de la performance immédiate,
l’effort n’est pas une valeur en vogue. Difficile d’en transmettre le goût
quand la télévision, avec ses “Star Academy” et autres jeux à questions qui
font gagner des millions, incite chacun, et surtout les enfants, à croire
que la réussite est affaire de charme, de séduction, de chance, et non de
travail, de persévérance, de patience.
Nous vivons sous le signe de l’éphémère : les idoles, du spectacle
comme du sport, descendent de leur piédestal aussi vite qu’elles y sont
montées. Tout contribue à donner la sensation que la gloire s’acquiert en
un coup de baguette magique, sans effort, puisqu’elle s’envole aussi
magiquement. Comment, dans ces conditions, convaincre les enfants que le
temps et la concentration sont nécessaires, même pour devenir bon en sport
ou en musique ?
Nos vies tiennent de plus en plus du zapping : j’aime-j’aime pas.
J’aime pas ? Je jette, je passe à autre chose. Et les enfants, gavés
de télé, sont les premiers à adhérer à cette façon de vivre qui, justement,
s’accorde à merveille avec leur propre conception du temps. « Faire
des efforts » a toujours été un idéal d’adulte – le propre de la vie
psychique enfantine étant d’être axée sur le principe de plaisir, la
satisfaction immédiate. L’amour de l’effort n’a rien de naturel. C’est le
fruit d’un apprentissage, d’une prise de conscience qui ne peuvent avoir
lieu sans des adultes, eux-mêmes convaincus que « faire des
efforts » n’est pas une expression creuse.
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A quoi sert l’effort ?
Faire un effort consiste à vaincre une résistance, extérieure ou
intérieure, pour résoudre une difficulté ou parvenir à un objectif. Une
fois cet obstacle franchi, l’enfant se sent fier : « Ça n’était
pas si facile, mais c’est moi qui l’ai fait ! » Au passage, il y
glane un peu plus d’autonomie et de confiance en lui. Par ailleurs,
l’effort induit une attitude différente au temps. Au départ, le tout-petit
est enfermé dans le présent. S’obliger à une action pour obtenir quelque
chose plus tard, c’est sortir de la seule sensation immédiate pour
introduire le futur, cette notion abstraite. Se motiver suppose en effet
que l’on soit capable d’imaginer le résultat, le plaisir que l’on éprouvera
après. Corollaire : j’ai compris que l’avenir existe et que je peux lui
donner telle ou telle direction. De quoi développer son optimisme et sa
créativité !
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Pourquoi est-ce parfois difficile pour les parents ?
Ils ont conscience que le monde extérieur n’est pas toujours tendre. Alors,
ils créent un cocon protecteur, parfois trop, où priment les liens
affectifs. Il est certain que les enfants ont besoin d’être protégés, mais
cette bulle doit s’ouvrir progressivement. Le rôle parental consiste aussi
à faire découvrir le principe de réalité : tous les fruits ne vont pas
tomber de l’arbre, il faut aller les cueillir. Faire les devoirs d’un
enfant pour lui éviter une mauvaise note l’empêche de découvrir la
conséquence de ses actes, les réponses du monde réel. Mais enseigner
l’effort exige aussi… des efforts pour l’adulte. Pas facile, surtout après
une longue journée de travail, de l’obliger à ranger sa chambre. Il faut
expliquer, montrer, exiger, encourager, féliciter, gronder… Ranger à sa
place est une économie de temps et d’énergie qui, à terme, ne lui rend pas
service.
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Comment motiver ses enfants ?
En les amenant à tolérer des contraintes adaptées à leur âge et en y
incluant une notion de plaisir : « Tu peux regarder telle
émission, mais après avoir fait tes devoirs. » Un enfant est d’autant
plus motivé qu’il perçoit l’intérêt de l’exercice : apprendre à lire pour
pouvoir se plonger tout seul dans une belle histoire, mémoriser cette
récitation parce qu’elle est jolie… Et dans le domaine des sports et des
loisirs, il est particulièrement important de prendre en compte leurs
goûts. Pour se bouger, il faut être motivé, éprouver du désir pour
l’objectif proposé. Les enfants sont friands d’efforts pour se sentir plus
grands et plus autonomes… Ils ont également besoin des encouragements et
des compliments des adultes.
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Faut-il toujours expliquer pourquoi tel effort est
important ?
Les explications sont indispensables quand on demande à l’enfant quelque chose
pour la première fois ou quand il se révolte. On rappellera ainsi la
finalité de l’effort exigé, par exemple : « Il faut que tu ranges
ta chambre, car on ne se sent pas bien dans sa tête quand tout est en
désordre. » Ou encore : « C’est à toi de mettre le couvert,
car dans une famille, il est important que tout le monde participe. »
Les enfants se sentent rassurés si les exigences sont précises et
régulières. D’où l’intérêt des rituels : préparer son cartable la
veille au soir, faire son lit avant de partir à l’école… Il faut que les
règles soient claires, que l’enfant sache ce que l’on attend de lui. Il est
très angoissant de s’entendre reprocher de ne « jamais aider à la
maison », alors que l’on ne vous a rien demandé de précis. Rien de plus
décourageant qu’un « peut mieux faire » systématique. Autant ne
rien tenter puisque ça ne sera jamais assez…
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Et si l’enfant n’y arrive pas ?
Pour qu’un enfant se mobilise, il est utile de lui laisser un peu de
"manque". Là encore, en essayant d’évaluer ses capacités. Au
départ, la maman apporte une solution systématique aux problèmes de son
bébé, elle anticipe même ses besoins : quand elle a une montée de lait
juste avant qu’il ait faim par exemple. Progressivement, il va falloir
sortir de ces "réponses à tout". A mesure que l’enfant grandit,
il aura besoin qu’on lui laisse éprouver des petites frustrations avant de
lui apporter une solution : ça lui permet d’éprouver du désir,
d’élaborer des stratégies, de développer son intelligence et son
imagination…
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Comment lui permettre de surmonter un échec ?
En l’aidant à comprendre ce qui n’a pas fonctionné. Quand il est tout
petit, on lui montre comment accomplir un geste difficile qu’il n’a pas réussi,
escalader une marche, par exemple. Quand il est plus grand, il est
également important d’apprendre à l’enfant à analyser pourquoi ses efforts
n’ont pas été couronnés de succès : l’objectif était-il trop
difficile ? Aurait-il pu s’y prendre autrement ? On évitera
surtout de formuler des jugements globalisants du type : « De
toute façon, tu es paresseux », qui disqualifient toute sa personne.
S’il sent que c’est sans appel, pourquoi tenterait-il la prochaine
fois ?
(Article réalisé avec les psychologues et psychanalystes Claude Boukobza et
Hélène Brunschwig, et le psychiatre Xavier Pommereau.)
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EFFORT :
Petit effort deviendra grand
=> La petite enfance : certains efforts sont spontanés, surtout quand
l’enfant a envie d’imiter les autres. Dans d’autres domaines, il a besoin
de stimulations : enfiler seul son manteau, répéter un mot difficile,
fabriquer une construction avec des Lego… Ce qui le motive, c’est de plaire
aux parents, de susciter leur approbation. Il adore acquérir de l’autonomie
et montrer ce qu’il sait faire. Son cri de guerre ? « Moi tout
seul ! »
=> L’enfance : il continue à vouloir plaire à ses parents,
auxquels s’ajoutent la maîtresse, les copains, les enfants plus grands… Les
efforts, il est prêt à en faire, mais il maîtrise encore mal le temps. Il a
souvent besoin qu’on lui rappelle qu’il est l’heure de se consacrer à ses
devoirs ou de prendre une douche.
=> L’adolescence : l’approbation de ses pairs va primer sur celle
des parents. « Ne rien faire » peut être une façon de se
réapproprier son temps et son espace. Il a besoin, par exemple, qu’on lui
rappelle en quoi sont importants pour lui les objectifs dont il va se
priver s’il ne travaille pas.
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A LIRE :
• “A quoi ça sert l’école ”? de Claude Boukobza. (Louis Audibert,
2002).
• “Une famille, ça s’invente” de Hélène Brunschwig (Albin Michel,
2001).
• “Quand l’adolescent va mal” de Xavier Pommereau (J’ai lu, 1999).
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