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nfant unique, enfant pourri. » Nathalie, 37 ans, se
souvient encore des ricanements de ses camarades d’école : « J’étais
profondément blessée par ces remarques d’autant plus injustes que mes
parents n’avaient vraiment pas les moyens de me gâter. » Du coup, n’ayant
pas voulu imposer les mêmes vexations à un enfant, elle en a fait quatre !
Egoïste, asocial, fragile, immature… L’enfant unique a longtemps
souffert d’une mauvaise réputation. Pourquoi ? Probablement pour des
raisons politiques et démographiques. « Au lendemain des deux guerres
mondiales, il fallait impérativement repeupler la France ! Il importait
donc de persuader les parents que, pour la santé mentale de leur enfant,
ils devaient obligatoirement en concevoir au moins un deuxième », analyse
Daniel Gayet, philosophe. En 1950, Françoise Dolto elle-même n’hésitait pas
à déclarer : « Quand ils grandissent, les enfants uniques sont hyperverbaux et hyposensoriels
; chez eux, la puberté n’arrive pas à se faire. A 15 ou 16 ans, ce sont des
sujets d’élite d’un point de vue scolaire mais des êtres nuls du point de
vue des échanges humains. » (1) Les années 70 ont apporté un revirement des
mentalités. « Tout ce qui a pu être dit sur l’enfant unique reposait sur
des jugements moraux et non sur des données scientifiques », commente le
psychologue Jean-Pierre Almodovar.
Toutefois, si l’enfant unique n’a pas une personnalité type due au
manque de frère et sœur, il n’en demeure pas moins confronté à des
problèmes spécifiques. En effet, être l’unique objet d’amour de ses parents
n’est pas anodin. « Papa et maman ont fermé la porte pour que je reste
seule avec eux », témoigne Noémie, 6 ans. Certes,
l’enfant unique bénéficie de ce bonheur inouï d’avoir ses parents pour lui
tout seul, mais cet avantage peut s’accompagner d’inconvénients
dommageables à son épanouissement. Seule l’attitude des parents fixera le
destin de l’enfant.
1 - In "Mes frêres, mes sœurs et moi",
Jacqueline Dana, Presse Pocket, 1993
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L’enfant divin sous contrôle
Au centre de toutes les attentions, l’enfant unique est souvent surprotégé.
« Ce qui lui confère un profond sentiment de sécurité et une impression de toute-puissance
», observe Varenka Marc, psychanalyste pour
enfants. Cependant, héros du cercle familial, il hésite parfois à
s’aventurer à l’extérieur, de peur d’être remis en question. Si ce mode de
fonctionnement persiste dans sa vie d’adulte, il représentera un véritable
handicap tant sur le plan social que sur le plan sentimental. De plus, la
surprotection des parents s’accompagne souvent d’une extrême exigence et
d’un contrôle permanent de leur part : « Où vas-tu,
avec qui, pourquoi ? » Toutes les peurs étant concentrées sur le même
enfant, éducation flirte avec intrusion : « Dès que j’arrivais chez des
copains ou que je sortais d’une séance de cinéma, je devais téléphoner à ma
mère et affronter les railleries des amis qui me trouvaient trop couvée, se
souvient Anne-Laure. Mes parents redoutaient
toujours qu’il m’arrive quelque chose. Ils ont été jusqu’à m’empêcher
d’aller en classe de neige : j’aurais pu me blesser, ou pire… ! Je leur en
veux encore. J’ai, aujourd’hui, 28 ans et ma mère continue de m’appeler
tous les jours. Je n’ose toujours pas lui dire de me laisser enfin en paix.
»
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Seul face aux parents
Très entouré par ses parents qui l’accompagnent
dans ses activités quotidiennes (jeux, travail scolaire, discussions…),
l’enfant unique connaît aussi la solitude et, parfois l’ennui, la
tristesse. Ce paradoxe le fait mûrir plus vite : participant directement à
la vie des adultes, il se consacre tôt à des activités plus intellectuelles,
comme la lecture, par exemple. Cette maturité précoce peut être aussi le
résultat de la charge morale et psychologique que représentent parfois les
parents. Xavier raconte : « Pris comme confident par ma mère, j’ai su très
vite tout se qui se passait entre elle et mon père, tant à propos de leurs
conflits intimes que de leurs déboires professionnels. Ne pouvant plus
supporter ce rôle de médiateur, j’ai quitté la maison à 17 ans et
interrompu mes études. A 35 ans, je reste le porte-parole du couple. Même divorcés,
ils continuent de m’impliquer dans une histoire qui n’est pas la mienne.
J’aimerais les envoyer balader mais je culpabilise trop pour ça. Je
regrette de ne pas avoir de frères et sœurs pour partager ce fardeau et
prendre un peu de recul. » L’enfant unique endosse seul l’angoisse de ses
parents. « En réaction à cette responsabilité non partagée, il se protégera
farouchement des autres ou, à l’inverse, aura tendance à prendre
systématiquement en charge son entourage », note Varenka
Marc.
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Un lien trop exclusif avec maman
La situation de l’enfant unique devient particulièrement délicate
lorsqu’il se retrouve seul avec un des deux parents, le plus souvent la
mère. Cette dernière, totalement accaparée par son enfant, est tentée de
construire avec lui un lien exclusif. De cette
trop grande proximité peut naître une confusion des rôles, notamment
lorsqu’il s’agit d’un garçon. « Cet enfant mâle que la mère entoure de toute
sa tendresse deviendra inconsciemment l’amant interdit, observe Chantal de
Corbière, conseillère conjugale et thérapeute familiale. Et plus elle est
en manque d’affection plus les liens avec son fils sont passionnels. »
Les conséquences possibles ? Un fils qui reste dans le giron de sa mère par
peur de la vie, cumulant les échecs sentimentaux (car aucune femme ne
saurait rivaliser avec maman). Pour les filles, les risques se posent en
d’autres termes. S’identifiant totalement à leur mère, elles deviennent son
miroir, le reflet de ses désirs inconscients et il n’est pas rare qu’à
l’adolescence mère et fille deviennent les pires rivales. « La seule
solution que trouve l’adolescent pour se détacher de sa mère et acquérir
son autonomie est le conflit », explique Chantal de Corbière.
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Personne à qui se confronter
« La fratrie a un rôle déterminant dans l’épanouissement de l’enfant »,
affirmait Donald Winnicott, célèbre pédiatre et psychanalyste anglais (2).
Elle lui donne le sens du jeu et la possibilité d’interpréter différents
rôles, l’aide à développer sa créativité et sa spontanéité, lui permet
d’exprimer son agressivité et lui apprend à la canaliser… Ce qui le prépare
à la vie en société. L’absence de frères et sœurs à la maison va donc
provoquer des réactions différentes selon l’enfant. L’un va chercher une
fratrie à l’extérieur de la famille. « Moi, j’ai choisi mes frères et
sœurs, raconte fièrement Nicolas, 22 ans. J’ai toujours eu beaucoup d’amis.
Et les amis, c’est souvent mieux car, au moins, il n’y a pas de jalousie. »
Un autre se sentira décalé et démuni face, notamment, à l’inévitable
concurrence scolaire. Peu habitué à partager l’attention des adultes, il
souffrira de ne pas nouer, avec l’enseignant, un lien privilégié. Peu
entraîné à l’émulation, il manquera, une fois adulte, d’agressivité
dynamique et positive. N’ayant pas eu, plus tôt, l’occasion de se mesurer à
autrui, il sera victime d’un sentiment d’infériorité, note Christine
Brunet, psychologue.
2 - "L'Enfant et sa famille", Payot,
1991
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Comment élever un enfant unique ?
Le plus important : ouvrir la famille vers l’extérieur, conseillent les
psys. L’histoire de Justine, 8 ans, en témoigne : « Elle avait la phobie
des insectes, raconte Angélique Hirsch-Pellissier,
psychothérapeute. J’ai demandé aux parents s’ils avaient des visites,
recevaient des amis. La question leur a paru étrange. Non, ils ne
recevaient jamais personne. En fait, les insectes étaient symboliquement les
seuls êtres vivants à pénétrer dans la maison et Justine en avait très
peur. Du jour où les parents ont commencé à inviter du monde à la maison,
sa phobie a disparu. »
Une scolarisation précoce, si elle est bien vécue par l’enfant, peut
également l’épanouir. Inviter régulièrement cousins, cousines, petits
copains à la maison est un bon moyen de confronter l’enfant à ses pairs. De
même, les colonies de vacances, les clubs de plage, clubs sportifs et
associations culturelles.
Mais attention. Pas question d’aller à l’encontre de la personnalité de
l’enfant, insiste Sylvie Angel, psychiatre et thérapeute familiale : « Il
faut respecter les caractères, les passions et les intérêts de chacun.
Certains sont plus introvertis et sélectifs, appréciant la lecture, le
piano ou Internet, alors que d’autres préfèrent les boums entre copains,
les sports collectifs et les colonies de vacances. L’essentiel, c’est que
l’enfant se sente bien. »
Les mères qui élèvent seules leur enfant doivent s’interroger : se
préservent-elles un temps pour elles ? Ont-elles
conservé une vie intime ? Elles ont en tout cas besoin d’un relais
extérieur au duo familial. C’est le père qui, traditionnellement, joue ce
rôle fondamental de tiers séparateur. « Même s’il est absent, il faut
parler de lui et le faire exister dans la tête de l’enfant », précise
Chantal de Corbière. Les grands-parents jouent aussi un rôle important, à
condition qu’ils ne se substituent pas aux parents, de même qu’une personne
extérieure à la famille : un étudiant, par exemple, qui fait travailler
l’enfant à la maison.
Et dans le cas d’une famille recomposée, situation de plus en plus
fréquente ? Comment continuer à se considérer comme unique quand la
nouvelle compagne de son père amène à la maison ses propres enfants et que
demi-frères ou demi-sœurs naissent ? Cette transformation de la structure
familiale provoque souvent des difficultés chez l’enfant qui a du mal à se
situer dans la constellation familiale. La recommandation de Sylvie Angel :
« Rester à l’écoute de l’enfant, être attentif à ses réactions et préserver
un lien personnalisé avec lui. »
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AVIS :
Deux questions à Sylvie Angel
Psychiatre, Sylvie Angel dirige le Centre Monceau de thérapie familiale
(1).
Pourquoi certains parents décident-ils de n’avoir qu’un seul enfant ?
Tout dépend de leur vécu… et de leurs souvenirs d’enfance. Cette décision
peut être d’ordre médical : un des parents ou le premier enfant a été
gravement malade et le couple n’envisage pas d’avoir un deuxième enfant.
Dans le cadre d’un remariage, il peut
y avoir déjà d’autres enfants du côté du père qui ne veut pas d’un deuxième
enfant. Parfois, un couple en difficulté préfère ne pas s’engager dans une
deuxième maternité qui risquerait de provoquer leur séparation. D’autres
parents ont peur de ne pouvoir aimer le second comme le premier. Enfin,
certains ne veulent pas sacrifier leurs intérêts ou leurs passions au
profit d’une famille nombreuse.
Quand ce n’est pas un choix, les parents doivent-ils dire à l’enfant
pourquoi il est resté unique ?
Ils peuvent lui en parler. Souvent cela le réconforte. Mais certains
enfants voudront être parfaits pour compenser ce manque. C’est le cas
lorsque les parents présentent de fortes exigences scolaires. Un enfant
peut alors se sentir déstabilisé face aux attentes contradictoires des
parents, plus rares lorsqu’il y a plusieurs enfants : la mère veut que son
fils devienne un artiste alors que le père le voit patron d’entreprise. Il
obéit alors à des conflits de loyauté qui peuvent le perturber.
Marie-Laure Uberti
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